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Chaque rentrée littéraire ou presque voit son affaire judiciaire et/ou médiatique autour de l’acte de création littéraire. Qui ne craint pas de se faire plagier? Qui ne craint pas de se faire accuser de plagiat? L’histoire de l’édition regorge de procès, dont les conclusions judiciaires ont eu moins de retentissement que les prises de position de la rue ou des réseaux sociaux.

La question centrale derrière celle du plagiat repose en réalité sur celle du processus de création. Alors à partir de quoi crée-t-on? De sa propre expérience (élargie à celle de la famille, des amis, d’un village, d’un pays, etc.), de sources journalistiques (articles ou dossiers d’enquête, sujet et traitement de la nouvelle), de sources littéraires (bien des écrivains disent se nourrir de leurs lectures), de sources artistiques autres (représentations visuelles comme des photographies ou des peintures, par exemple), de phénomènes de société (l’impact des réseaux sociaux sur l’estime de soi), d’événements politiques ou/et historiques, de rêves, de souvenirs, d’idées que l’on veut défendre (féminisme), d’études scientifiques (astronomie, psychologie, etc.), et cette liste se tient loin de l’exhaustivité. Autant de domaines et une pléthore de possibilités pour chacun. Disons que tout ça participe de la sacro-sainte inspiration. Est-ce que l’inspiration (thème, lieu, personnages, voire même l’intrigue) suffit à authentifier l’originalité de la création? Pas plus qu’ un motton de glaise ne garantit l’originalité de la sculpture. D’autant que plusieurs de ces critères (héros, intrigue) touchent au mythe, à l’universel.

Un même thème peut se retrouver dans un bon millier de romans sans qu’il y ait contrefaçon. Même chose pour un lieu. À moins de l’avoir déposé. Et quelque chose me dit que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada ne le permettrait pas, pour des raisons évidentes. Un prénom de personnage alors? Pour se vanter d’avoir inventé un prénom, il faut se lever de bonne heure. Rien ne peut dépasser l’imagination des parents quand il s’agit de nommer leur progéniture. Chaque fin d’année civile, des articles sont publiés à ce sujet à grand renfort d’exemples hilarants ou carrément consternants. L’actualité (et aussi https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/livres/franck-thilliez-accuse-de-plagiat-que-reproche-une-autrice-quebecoise-au-roi-du-polar-qui-dement-24-09-2025-RM6CYR63FNBZDFZOPAQW7MORSQ.php) me donne l’occasion d’examiner un prénom de personnage féminin: Angelune. Peut-on dire qu’un auteur l’a créé? Et si un autre l’utilise, aurait-on un cas de plagiat? Une rapide recherche sur Google montre qu’on retrouve ce prénom dans les premiers résultats au Yukon et en France, mais qu’il est particulièrement populaire aux Philippines.

Maintenant, supposons que l’auteur B crée une œuvre et que l’autrice A en écrive une fanfiction. S’agit-il d’un plagiat? Pas nécessairement non plus. Alchemised, de SenLinYu, (Hachette) est un roman de dark fantasy, lui-même adapté d’une fanfiction, Manacled, de la même autrice et issue de l’univers d’Harry Potter (le motton de glaise). Dans Alchemised, l’autrice a enlevé toute référence à HP et a créé un nouveau monde de nécromancie et d’alchimie. C’est une œuvre originale, qui résulte de combinaisons associatives différentes.

L’originalité de l’œuvre réside-t-elle dans le processus d’écriture? C’est ce qu’on serait tenté de penser. Et pourtant les formations en création littéraire se fondent sur le fait qu’on peut apprendre à écrire, qu’il existe des schémas d’intrigue, de relations et que ces schémas ne sont pas infinis. Par exemple, on va pouvoir relever une liste de types de conflits (internes au personnage ou entre personnages) et de leur résolution. Si je considère la table des matières du Thésaurus des conflits volume 1, les autrices en établissent 6 grandes catégories, dont les frictions relationnelles qui regroupent 29 conflits types, les échecs et erreurs qui en représentent 22, les dilemmes/tentations sur le plan moral seraient au nombre de 20, les devoirs et responsabilités (17), etc. Et si les types de conflits, de personnages, d’intrigues ne sont pas infinis, mais des déclinaisons des mêmes schémas, alors l’utilisation d’un même schéma narratif ne peut constituer la preuve d’un plagiat. Si vous décelez plusieurs points de convergence entre deux œuvres, cela n’implique pas pour autant que l’une est plagiée sur l’autre. Pas plus que la seule antériorité d’une œuvre sur l’autre.

Trois romans dont l’histoire se ressemble (et je suis certaine qu’on peut en trouver d’autres): Terminal Grand Nord d’Isabelle Lafortune, Une saison pour les ombres de R.J Ellory, Norferville de Franck Thilliez. Est-ce à dire que les auteurs se plagient? Non, cela implique surtout que le fait de société dont il est question dans ces trois livres, à savoir la disparition de nombreuses Autochtones, a enfin touché un grand public. Quel éditeur ou quelle éditrice n’a pas reçu un manuscrit portant justement sur le sujet traité dans le prochain à paraître?

Et le style dans tout ça? Admettons que l’autrice A possède une « voix » et un rythme qui lui sont « propres », et que l’auteur B raconte une histoire équivalente avec sa propre voix. S’agit-il d’un plagiat? Pas nécessairement. Parce que cette différence de voix va aboutir à des œuvres très différentes. Par ailleurs, le fameux regard de l’auteur, l’angle avec lequel il aborde un thème, sa divergence neuronale, confère à son œuvre une unicité. Nous sommes là plutôt dans l’ordre de l’impalpable. On peut toujours passer les textes au tordeur d’un logiciel, reste une dimension qui dépasse le seul logarithme: la sensibilité artistique.

De la sensibilité artistique à la sensibilité de l’artiste, il n’y a qu’un pas. Et il peut arriver qu’on ait le sentiment, voire la certitude, que son œuvre a été plagiée sans que ce soit nécessairement le cas. Pourquoi? Parce que de la création d’un autre, on ne voit que le produit fini, soit une très petite partie du travail de création. Et oui, on peut trouver bien des similitudes à deux œuvres sans qu’il y ait pour autant plagiat. Et cela peut même arriver au sein d’une même maison d’édition. Je pense ici au cas Camille Laurens/Marie Darrieussecq toutes deux publiées chez P.O.L. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/plagiat-litteraire-l-affaire-camille-laurens-marie-darrieussecq-1571150 Et avec la certitude d’avoir été plagié vient le pathos: la révolte contre l’injustice avérée ou non. Comment se fait-il qu’elle ait plus de succès que moi, alors que c’était mon idée? On s’entend qu’on a rarement vu un procès en plagiat au sujet d’une « œuvre » qui aurait remporté un succès confidentiel.

Alors, existe-t-il des moyens pour prouver un plagiat? Si toutes les « preuves » de plagiat considérées individuellement peuvent être infirmées, on va alors considérer le faisceau de preuves. C’est pour cela que la plainte en contrefaçon va stipuler plusieurs éléments (par exemple: lieu, thème, type de personnages, époque, paraphrases) qui ajoutés les uns aux autres peuvent légitimer la suspicion de plagiat et permettre d’entamer une poursuite judiciaire.

Le travail de la défense consistera à:

  • montrer la nécessaire cohésion de ces éléments: par exemple, dans un certain type de lieu, on va retrouver nécessairement le même genre de personnages, ou l’utilisation du huis clos comme procédé littéraire, par exemple.
  • établir la paternité de l’œuvre: Chaque auteur fait un vrai travail de documentation avant d’écrire un roman et en conserve la trace sous forme de dossiers papier et/ou numérique, de livres lus, de notes, de courriels, etc. Il y a aussi les différentes versions de plan de l’œuvre, dans le cas où l’auteur travaille d’après un plan, et les différentes versions des chapitres. On peut également se référer aux autres œuvres d’un même auteur, dans lesquelles on va isoler plusieurs éléments récurrents: on pourrait alors parler de « signature ». Autant de traces de la filiation d’une œuvre.
  • et en dernier lieu à prouver que s’il y a ressemblance, il ne s’agit pas d’un effet de la volonté de l’auteur. Et cette preuve-là, tient en un adverbe: « sciemment. » Selon la loi canadienne du droit d’auteur (https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-42/page-14.html), le plagiat ou contrefaçon est fait sciemment. Un procès en plagiat est donc en partie ce qu’on appelle en langage populaire un procès d’intention. L’auteur B a-t-il sciemment contrefait un ou plusieurs éléments de l’œuvre de l’auteur A?

Voilà pourquoi bon nombre d’auteurs et d’autrices avouent ne pas lire pendant leur période de production. Ils craignent de plagier sans le savoir. La mémoire est un atout, mais aussi une faiblesse. Légalement, seule l’intention permet de distinguer le plagiat avéré de l’inspiration. Même si un livre A fait partie des documents examinés dans le cadre de la recherche pour un livre B, cela n’implique donc pas nécessairement que le livre B est un plagiat du livre A.

Avec tous les risques que cela entraîne, on peut se demander pourquoi plagier? Le plagiat est-il une voie vers le succès? Bien des maisons d’édition font clairement mention dans le contrat de publication que l’auteur garantit l’originalité de l’œuvre et qu’il dégage la maison d’édition de toute responsabilité à cet égard. Cela se présente en général comme suit: L’AUTEUR garantit que son œuvre est originale, inédite, et qu’elle ne viole, à sa connaissance, aucun droit d’auteur existant. L’AUTEUR garantit à l’ÉDITEUR que l’œuvre ne fait pas l’objet d’un autre contrat avec une autre société. L’AUTEUR garantit qu’il a pris tous les moyens que prendrait une personne raisonnable afin de s’assurer que l’œuvre ne porte atteinte à la réputation, à la vie privée ou à un autre droit de la personnalité de quelque personne. L’AUTEUR s’engage à tenir l’ÉDITEUR indemne de toute condamnation par un jugement final mettant en cause les déclarations et garanties de l’AUTEUR, sous condition pour l’ÉDITEUR d’aviser par écrit l’AUTEUR de toute réclamation ou de tout recours pouvant mettre en cause telles garanties dès qu’il en a connaissance. Ou en d’autres termes: tu copies volontairement, tu vas payer et tu seras seul à le faire. Je n’ai pour ma part vu que deux cas de plagiat supposés dans ma carrière, pour des milliers de manuscrits reçus. Et sur ces deux cas, un avait clairement confondu inspiration et copie.

Il y a le tribunal de la justice et il y a le tribunal social. Une affaire de plagiat n’est pas encore considérée comme recevable par la justice qu’on en trouve des mentions dans la presse, et donc dans les réseaux sociaux. Les factions se constituent et s’injurient joyeusement au nom de celui ou celle qu’elles croient défendre ainsi. Mais là aussi, on nage en plein pathos. Nos propres frustrations nous orientent vers un camp ou l’autre, au mépris de la recherche de la vérité. Et cela ne s’arrête pas là. Parce que l’affaire close, l’odeur de scandale reste et tache. On peut alors retrouver le chemin des tribunaux pour atteinte à la réputation.

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Deux exemples emblématiques de vol de propriété intellectuelle au Canada:

L’affaire Caillou: https://www.ledevoir.com/motcle/caillou

L’affaire Robinson: https://www.lapresse.ca/affaires/economie/quebec/200908/27/01-896193-chronologie-de-laffaire-claude-robinson.php

Pour aller plus loin sur l’aspect neuroscientifique de la création artistique:

« La création artistique au prisme des neurosciences » https://artcurhope.com/creativite-artistique-neurosciences/ ,

« la créativité » https://institutducerveau.org/fiches-fonctions-cerveau/creativite

Quelques références en ce qui a trait au processus de création littéraire:

Angela Ackerman et Becca Puglisi, Le thésaurus des conflits vol.1, La comédie française, 2025, ISBN: 9798299302745

Angela Ackerman et Becca Puglisi, Le thésaurus des conflits vol.2, La comédie française, 2025, ISBN: 9798299115444

Angela Ackerman et Becca Puglisi, Le thésaurus des traits de caractère positifs, La comédie française, 2024, ISBN: 9798303490239

Angela Ackerman et Becca Puglisi, Le thésaurus des traits de caractère négatifs, La comédie française, 2024, ISBN: 9798309687428

Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, J’ai Lu, 2013, ISBN: 9782290069011

Stephen King, Écriture: Mémoires d’un métier, Albin Michel, 2001, ISBN: 9782226126702

John Truby, L’anatomie des histoires: comment devenir le maître des genres, Michel Lafon, 2025, ISBN: 9782749955827

K.M. Weiland, Creating character arcs, PenForASword publishing, 2016, ISBN: 9781944936044

K.M Weiland, Writing archetypal character arcs, PenForASword publishing, 2023, ISBN: 9781944936143

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